A 57 ans, Jules Denis ONANA se lance dans la course à la présidence de la Fédération camerounaise de football. L’ancien Lion indomptable qui faisait partie de l’épopée de la Coupe du Monde Italie 1990 croit profondément en ses chances de l’emporter malgré le calibre de ses potentiels adversaires que sont Samuel Eto’o Fils et Seidou Mbombo Njoya, le président sortant. Il veut apporter de la transparence dans la gestion du football au pays de Roger Milla mais aussi développer cette discipline aussi bien chez les amateurs que chez les professionnels, de même que le football féminin. L’ancien défenseur du Canon de Yaoundé et de Pelita Jaya FC en Indonésie pense surtout qu’il est grand temps de confier la gestion du football camerounais à ceux qui ont pratiqué cette discipline au très haut niveau. Nos confrères d’Africa Football United sont allés à la rencontre de cette ancienne gloire du football camerounais pour comprendre ses motivations et ses projets.
Ci-après l’entretien exclusif…
Vous venez d’assister à la finale des Play-offs du championnat Elite One remportée par Coton Sport de Garoua, quel commentaire faites-vous après cette rencontre ?
Déjà, je voudrais féliciter Coton Sport parce que c’est leur 16ème victoire en championnat, c’est une très bonne performance, ça montre que le Coton écrase la concurrence. Et sur le match, on a vraiment vu qu’il y avait une différence de niveau entre APEJES et Coton. Le football camerounais n’est pas le meilleur du monde en termes de championnat et le Coton est un peu trop au-dessus des autres équipes. APEJES a fait illusion dans les 10-15 premières minutes mais quand Coton a pu mettre le pied sur le ballon, il a carrément pris de l’ascendant sur le match et je crois que c’est une victoire logique de Coton Sport.
Que diriez-vous au sujet de l’organisation de cette finale qui se déroule dans un relatif anonymat ?
Déjà, j’ai été un peu déçu de voir que le match de classement s’est joué à l’annexe à 13 heures 30, ce qui n’est pas, compte tenu de la température, un moment idéal pour pouvoir faire évoluer des joueurs. Ça nuit à la performance, ça peut même nuire également à la santé. Je trouve qu’en 2022, il y a des horaires qu’on ne devrait plus imposer aux joueurs de football. Heureusement, pour le second match, ça s’est joué dans une enceinte reconnue avec une belle température, il n’a pas fait chaud à Douala aujourd’hui, ce qui a peut-être permis à Coton d’élever son niveau. Mais le premier match de classement a été terne, même s’il y a eu une large victoire d’AS Fortuna, ce n’était pas un beau match, les conditions n’étaient pas réunies. Donc, il faut qu’on pense maintenant à donner les meilleures conditions d’expression aux joueurs, c’est le plus important. Pour que le football soit beau, il faut que les joueurs soient à l’aise et puissent évoluer dans les conditions les meilleures. On ne peut pas leur demander un bon rendement s’ils évoluent dans des conditions de température inappropriées. C’est l’un des aspects qu’on peut relever. Il y a beaucoup d’autres problèmes mais pour cette finale-là, c’est cet aspect que je voudrais relever.
Jules Denis ONANA, votre actualité est connue de tous, vous êtes candidat à la présidence de la Fédération camerounaise de football. Qu’est-ce qui vous a motivé à vous lancer dans cette course à la tête de l’instance faitière du football camerounais ?
Nous nous sommes rendu compte au niveau de nos groupes d’anciens footballeurs, d’anciens lions indomptables qu’il n’était plus possible que le football se décide au Cameroun sans que ceux qui ont pratiqué la discipline au plus haut niveau n’y soient impliqués. Vous êtes journaliste, vous êtes sans ignorer que vous ne pouvez plus accepter à un moment qu’on prenne des décisions à votre place dans un métier que vous connaissez. Voilà la réelle motivation. Maintenant, et vous remarquez, ce n’est pas le fait du hasard, que plusieurs anciens lions se sont levés pour dire : nous voulons être aux commandes de cette institution parce qu’à trop voir les gens évoluer, on se dit : est-ce qu’on ne peut pas faire mieux qu’eux ? Si au moins, le football évoluait dans la bonne direction, je crois que tout le monde serait content. Mais le football n’évolue pas dans la bonne direction et nous ne pouvons donc pas rester muets, assis, jusqu’à ce que les choses s’effondrent. C’est le premier constat que nous avons fait et maintenant, chacun individuellement y a réfléchi, moi, je réfléchis au football depuis des années, j’ai fait des choses dans d’autres pays, au niveau de la fédération, au niveau d’une ligue de football… On a posé les bases de plusieurs institutions ailleurs et on ne peut pas rester muets chez-nous alors que ça ne va pas. Les choses que nous avons impulsées ailleurs fonctionnent bien, donc, nous sommes obligés de les implémenter chez-nous, au Cameroun pour que les choses aillent beaucoup mieux.
Face à vous, il y aura probablement deux grosses pointures : il y a Samuel Eto’o qui a déjà annoncé qu’il est candidat et le président sortant Seidou Mbombo Njoya qui ne tardera peut-être pas à se prononcer. Croyez-vous-en vos chances de l’emporter ?
Je crois en mes chances de l’emporter. Je ne m’engage jamais dans une histoire sans savoir où je vais. Il est vrai que l’aura de Samuel est immense, c’est un très grand joueur, un joueur que nous aimons parce que moi, j’aime le joueur Samuel Eto’o. Mais à un moment, il faut se dire qu’on a des chances parce qu’on a des idées, parce qu’on a une personnalité, parce qu’on a des orientations et que nous pensons que les arguments que nous avons en notre faveur peuvent aider à faire avancer les choses. Le constat est que la fédération ne marche pas bien, ça, c’est un constat que vous-même, vous avez sûrement fait. A la fin, il va falloir présenter un projet qui tienne la route. Maintenant, le projet seul ne suffit pas parce que ceux qui ont été élus avant, avaient des projets mais pourquoi n’ont-ils pas pu garder la ligne éditoriale pour que leurs projets soient mis en pratique. Donc, il faut non seulement le projet mais aussi la personne pour mener le projet et il faut surtout rendre les choses crédibles. Le problème, c’est la crédibilité de ceux qui poussent les projets, c’est un élément important. Je pense avoir ces éléments-là, je prêche pour ma paroisse, je les ai, d’autres diront qu’ils ont ces éléments et maintenant, ce sera une comparaison des projets qu’il y a et les personnalités derrière les projets pour les mener.
Est-ce que ça ne vous gêne pas quand même d’avoir en face Samuel Eto’o, unanimement reconnu comme le meilleur joueur camerounais de ces dernières années ? Est-ce que vous auriez aimé ne pas l’avoir comme concurrent à cette élection ?
Je ne choisis pas mes concurrents. Je le répète, Samuel, c’est notre idole à tous. J’ai vécu en Asie pendant longtemps où le monde a vibré parce qu’il y avait un Samuel Eto’o qui faisait des merveilles pour le Cameroun et pour les différents clubs dans lesquels il a joué. Donc, l’aura de Samuel ne se conteste pas, nous sommes tous d’accord que c’est l’une des plus belles pépites du football camerounais. Mais maintenant, dans un autre domaine, nous avons d’autres armes qui nous permettent de penser que nous avons ce qu’il faut pour remettre les choses dans le droit chemin. Et puis, ce n’est pas un affrontement contre Samuel, nous sommes tous issus de la même maison et ce que je pense en tant qu’ancien footballeur, c’est sûrement ce que Samuel pense en tant qu’ancien footballeur parce que nous voulons mettre de l’ordre dans notre maison. Ce n’est pas un affrontement Onana contre Eto’o, ça n’aura jamais de sens parce que nous voulons les mêmes choses pour le football camerounais. Cette maison, nous l’avons bâtie, chacun à son niveau. Nous avons peut-être élevé le second niveau parce qu’il y en a qui sont venus avant nous qui ont fait le rez-de-chaussée. Samuel est venu, il a mis la cerise sur le gâteau mais on se rend compte qu’après toutes ces intelligences, après toutes ces performances, après tous ces joyaux, notre maison est en train de s’écrouler. Donc, il faut que nous réagissions, je réagis, Samuel a réagi, d’autres ont réagi et on verra comment à la fin, la victoire sera toujours collective, même si c’est quelqu’un qui marque le but, la victoire sera toujours collective parce que notre souhait, c’est qu’un ancien lion, un ancien footballeur puisse prendre cette maison et la rendre habitable de façon définitive.
Seriez-vous prêt à répondre favorablement à une main tendue de Samuel Eto’o s’il vous la proposait ?
Pour le moment, ce n’est pas le lieu d’en parler. Ce qui est sûr, c’est que Samuel et moi, on se parle, il n’y a aucun problème, il sait que j’ai un immense respect pour lui et je sais qu’il a un immense respect pour moi. Mais pour le moment, ce n’est pas le lieu de parler de rencontre par rapport à cela. Si on se rencontre, on va en parler. Chacun mène sa campagne de son côté. Et vous savez, pour nettoyer, c’est le même balaie, ce sont seulement différentes mains qui vont l’utiliser mais ce que nous voulons en tant qu’anciens footballeurs, c’est que notre maison soit propre. Mais si maintenant, il faille que nous la balayions à deux, on le fera, on verra ça en temps utile.
Il y a aussi le président sortant qui certainement sera aussi dans la course, pour l’instant, il tient encore les manettes, est-ce qu’il n’a pas un avantage sur vous ?
Le président sortant, il a un bilan. Pour moi, il n’est pas question d’aller contre le président sortant, il est question d’aller contre le bilan de l’équipe en place et c’est des choses différentes parce que nous n’avons aucun problème contre la personne du président mais nous avons juste constaté que le football ne va pas et si le football ne va pas, il faut que nous nous levions pour essayer d’arranger certaines choses. Ce n’est pas un combat contre une personne, c’est un combat contre un projet qui n’a pas évolué, qui n’a pas marché et nous proposons d’autres choses pour que le football camerounais s’améliore.
Vous avez conçu un projet ambitieux de 268 pages, quels en sont les principaux axes ?
Je vais commencer par la Gouvernance. Il faut être transparent. Ce que les camerounais pensent, c’est que la FECAFOOT, ça ne vaut pas la peine parce que c’est opaque, les gens viennent s’enrichir, les gens viennent faire n’importe quoi, sauf le football. Il faut ouvrir la maison, que chacun puisse voir ce qui se passe dans la maison. Ça, c’est d’abord la première chose : donner confiance aux gens qui vont travailler avec la FECAFOOT. Ensuite, il faut organiser le football. Comment organise-t-on le football ? C’est par la base. Nous avons un instrument qui est la Direction technique nationale qui, partout ailleurs, est la base du développement du football. Pourquoi au Cameroun, cet instrument est-il si mal utilisé ? Il faut lui rendre toute sa noblesse et la doter des moyens qui lui permettent d’aider au développement du football. Et quand on parle de développement du football, c’est détection, formation, compétition, performance. Et là, on va vers les ligues, ligues spécialisées, on va vers le football jeune, on va vers le football féminin. Le football féminin, c’est l’avenir. Il faudra qu’on pousse les jeunes filles à vraiment bien s’entraîner, à progresser parce que le football féminin, c’est l’avenir. Et en tout bout de chaîne, comment permettre à nos équipes nationales d’être performantes ? Pas seulement l’équipe A mais toutes les équipes. Toutes les catégories doivent pouvoir fonctionner et de manière normale et régulière. Dernièrement, les filles (les lionnes U20) sont allées battre la RDC au Congo (0-4). Vous saviez qu’elles allaient jouer ? Entre nous, est-ce que vous saviez qu’il y avait match au Congo ? Ce sont des choses qui ne doivent pas arriver. Parfois, vous passez au Stade Omnisports de Yaoundé, il y a match à l’intérieur mais personne ne sait qu’il y a match parce que les gens se désintéressent du football. Il faut qu’on ramène les gens à s’intéresser au football, il faut qu’on puisse encore créer une économie autour du football. Comment créer une économie autour du football si on n’a pas de bons footballeurs, s’ils ne sont pas bien formés, si on ne crée pas ce petit truc magique qui ramène les gens au stade. Le financement des clubs est très important. Maintenant, il y a des modèles qui ont marché ailleurs au niveau du financement des clubs. Nous l’avons proposé et détaillé dans notre programme. Je ne vous dévoile pas nos petites armes ici mais ce sont des axes que nous étudions depuis longtemps. Moi particulièrement, je l’ai étudié, c’était l’objet de mon mémoire et mes équipes ont planché dessus pour sortir ce document. C’est l’organisation du football telle que nous la pensons. Des experts se sont assis et ont planché dessus pour pouvoir sortir ce document. Pour nous, ce sera la référence dans les années à venir.
En 2018, malgré la défaite de Joseph Antoine Bell à cette élection, on avait quand même vu un vaste mouvement du collectif des anciens lions indomptables (CALIF) autour de sa candidature. Est-ce qu’aujourd’hui, vous pouvez vous targuer d’avoir le même soutien ?
Vous savez, au niveau où nous sommes, je suis candidat à la candidature. Évidemment, les grosses têtes du CALIF, du SYNAFOC (Syndicat national des footballeurs camerounais, NDLR) étaient au courant de ma démarche. Mais, je n’ai pas voulu associer le SYNAFOC ou le CALIF à ma démarche. Maintenant, lorsque nous aurons officiellement déposé le dossier, nous savons que nous pourrons compter sur certaines personnes. Maintenant, le CALIF ne vote pas, le SYNAFOC ne vote pas mais il est toujours réconfortant de savoir qu’il y a beaucoup de personnes derrière nous. Ces personnes sont là, elles sortiront en temps opportun mais pour le moment, nous avons délibérément choisi de n’associer ni le CALIF ni le SYNAFOC mais sachez bien que ma candidature n’est pas individuelle.
On a souvent fait le reproche aux candidats, surtout aux anciens lions de se lancer dans la course sans pour autant avoir préalablement balisé le terrain au niveau de la base électorale. Est-ce qu’aujourd’hui, vous avez fait ce travail pour renforcer votre chance de gagner l’élection ?
Vous savez, toutes les actions concourent à vendre notre projet : dire ce qu’on veut faire, comment on veut le faire et comment ça va se passer. Les médias que vous êtes nous aident à aller vers les autres parce que ceux qui votent, ils regardent la télé, ils écoutent la radio mais nous savons qu’il faut les voir individuellement pour leur présenter le projet. Ces approches individuelles, nous les faisons parce que chacun a besoin de savoir ce qu’il gagne si ce projet est mis en œuvre. Les attentes des clubs professionnels ne sont pas les mêmes que celles des clubs amateurs ou des ligues spécialisées ou du football jeune ou des féminines. Il faut que chacun puisse retrouver dans ce document, le chapitre qui l’intéresse. C’est avec ces actions ciblées que nous allons vers différentes composantes des acteurs du football pour leur dire : voici ce que nous vous proposons, voici ce que nous pensons faire et voici comment on le fera.
Vous êtes un ancien lion indomptable, vous étiez de l’épopée de 1990 en Italie. En début d’année prochaine, le Cameroun abritera la CAN. Quel serait pour vous la chose à faire pour garder ce trophée à la maison ?
Il y a beaucoup de choses à faire. Déjà que le public soit derrière son équipe, ce qui n’est pas toujours le cas. Il y a tellement d’avis différents sur les joueurs qui composent l’équipe. Il faut une union sacrée derrière l’équipe parce que les joueurs ont besoin de savoir que le pays les porte, ils ont besoin de savoir qu’il y a cette chaleur, ce mouvement qui se crée autour de l’équipe pour la porter. Il faut avoir confiance et la confiance, on la gagne parce qu’on sait qu’il y a des hommes forts derrière qui nous supportent. Maintenant, c’est difficile parce qu’il y a la pression de jouer à domicile mais il faut tout faire pour que nous puissions mettre nos joueurs dans les meilleures conditions. Ils ont les infrastructures qu’il faut, il faut que le public suive, je crois que le Gouvernement va tout faire pour que les stades soient pleins, pour qu’il y ait cette chaleur populaire et cet engouement. Que les joueurs sachent que le public est derrière eux et les pousse vers la victoire. Il y a des petits problèmes que nous connaissions à l’époque et je crois que les dispositions sont prises pour que les joueurs ne soient plus perturbés par des petits retards de paiement, de petites choses qui, somme toute, peuvent se régler lorsqu’on s’y prend longtemps à l’avance.
On vous sait très proche de Roger Milla, c’est votre ami. Que pense-t-il de votre candidature ?
Roger, c’est mon ami, c’est une personne que je respecte énormément. Il sait que je le respecte beaucoup. Mais cette décision, elle a été personnelle et je lui ai juste dit : excellence, voici ce que je pense faire et ce que je vais faire. Il m’a demandé si j’étais sûr de moi, je lui ai dit : excellence, je suis sûr de moi. Et il m’a dit : ok, si tu es sûr de toi, tu as ma bénédiction.
Et mon soutien aussi…
Bien évidemment !
Jules Denis ONANA, Merci beaucoup et bonne chance
C’est moi qui vous remercie !
Propos recueillis sur africafootunited.com